« Zaatari » de Karen A. Fisher

Le livre est sous-titré « culinary traditions of the world’s largest syrian refugee camp », les traditions culinaires du plus grand camp de réfugiés syriens au monde: le camp de Zaatari.

Plus de 80.000 personnes! Vous vous rendez compte? Moi j’ai du mal, je vous l’avoue. Un camp de réfugiés aussi peuplé qu’une ville comme Versailles ou La Rochelle! Alors, je ne vais pas parler politique internationale, je ne m’y connais pas assez pour exprimer une opinion pertinente. Et puis, chaque opinion est très largement influencée par notre vécu, l’environnement dans lequel on vit…

Je vais donc rester sur quelques faits: le conflit est ouvert en Syrie depuis 2011, depuis, 1/4 de la population (environ 5 à 6 millions) a fui le pays. Le camp de réfugiés de Zaatari est situé en Jordanie, près de la frontière syrienne, en plein désert (en tout cas, à mes yeux, ça ressemble à un désert). Il est ouvert depuis 2012 et a accueilli jusqu’à 200.000 personnes. Tout d’abord constitué de tentes de premiers secours, il est devenu une ville plus ou moins permanente, avec une organisation propre.

L’auteur, Karen E. Fisher, est une professeur canadienne, venue tout d’abord faire une étude sur l’utilisation des téléphones portables par les ados dans le camp. Tombée sous le charme des habitants, elle est revenue plusieurs fois, et en 2016, a décidé de collecter les recettes traditionnelles des habitants du camp et de les rassembler dans un livre. Pour se souvenir des traditions culinaires des différentes régions de Syrie, et parce que la cuisine, c’est ce qui rapproche le plus les personnes. Pas moins de 2.000 personnes ont en effet contribué à l’écriture de ce livre. Si cela vous intéresse, vous trouverez ici une interview très intéressante de l’auteur.

LE LIVRE

Je vous ai dit que le livre a été commencé en 2016, il a fallu presque 8 ans pour sélectionner la centaine de recettes qui se trouvent dans l’ouvrage, mais aussi les classer, et les traduire. Pas seulement au niveau de la langue, mais aussi en poids et mesures, car au camp Zaatari, chacun cuisine à l’œil, au toucher, à l’ouïe… Mais Zaatari, ce n’est pas qu’un recueil de recettes, c’est aussi un recueil d’histoires, de tranches de vie, d’actions menées dans le camp par et pour ses habitants pour rendre l’exil supportable et le futur viable.

Il est donc paru en langue américaine aux éditions Goose Lance en janvier 2024. A noter que les bénéfices de la vente du livre reviennent au camp de Zaatari.

On commence par la table des matières.

Les recettes et récits sont organisés par moments de la journée ou de la vie. On entame le voyage avec la tasse de café matinale. Puis on continue avec le petit-déjeuner, le ftoor. Après un tour dans le camp, une visite des Tigers, des Shams Elysées et des produits locaux, voilà le déjeuner. Puis on parle Ramadan, mariage, naissances, pains et douceurs.

On finit par les ingrédients incontournables, les recettes basiques, une petite biographie de Karen Fisher et enfin les remerciements, et l’index des recettes.

Les recettes:

Comme dit auparavant, il n’y a pas de séparation précise entre sucré et salé, plat principal ou dessert, recettes et histoires. Les recettes sont classées en moments: celui du petit-déjeuner, du dîner. Les recettes du Ramadan, celles des mariages…

Elles sont présentées comme suit: une petite intro, le plus souvent une photo, une liste des ingrédients et le déroulé. La liste des ingrédients est souvent simple, mais peut contenir pas mal d’épices. Il y en a quelques unes qui sont très spécifiques comme les graines de nigelles, ou le mahlab mais cela reste gérable. Parfois même, des substituts sont donnés. A noter que le saman est l’équivalent du ghee et que le lumi est du citron noir séché. Mais tout cela est expliqué dans le glossaire des ingrédients en fin de livre.

Le déroulé des recettes est assez clair et bien expliqué. Il n’y a pas de grosses difficultés à redouter. Certaines recettes requièrent un peu plus d’habileté que d’autres. Il ne faut pas oublier que les cuisinières du camp préparent leurs recettes depuis parfois plus de 40 ans. Dans tous les cas, même si visuellement, ce n’est pas parfait, cela sera quand même très bon. Et puis, certaines recettes ont été partagées par des jeunes filles, parfois même de 11 ans. Alors, on va retrousser ses manches et réussir nous aussi.

Entrelacés entre les recettes, on trouve des poèmes, des récits. Des récits de fuite, de vie, d’espoirs. On apprend certaines traditions, on découvre des associations, des passions. Comme l’association Tigers (these inspired girls enjoy reading) pour lutter contre le manque d’éducation et le mariage précoce chez les filles. On découvre aussi le courage de certaines personnes qui ont tout perdu et ont reconstruit un nouveau commerce à partir de rien.

MON AVIS:

J’ai beaucoup aimé lire ce livre, pourtant assez différent des livres de recettes que je lis habituellement. Je pensais m’ennuyer et passer les récits des « associations ». Et non, je les ai également dévorés. Cela m’a permis de découvrir des aspects de leur vie dont je ne me doutais même pas. être obligé de tout quitter et trouver la force de reconstruire une vie (temporaire) quelque part. Former des associations pour s’adapter, apprendre, se battre contre l’obscurantisme, c’est très beau.

LES PLUS:

Les recettes sont très appétissantes. Beaucoup de poulet, un peu de mouton (surtout cuisiné pendant les fêtes). Pas de porc, ça je m’en doutais, mais pas non plus de bœuf, qui doit être trop cher à élever dans cet endroit du monde ou de poisson (trop loin des côtes). Beaucoup de boissons, et de pain maison. Il faut vraiment que je tente certaines recettes de pain, elles me donnent trop envie. Et pas mal de sucré, la Syrie étant connue pour ses pistaches, ses noix de cajou, ou encore son miel.

J’ai beaucoup aimé les photos. Cette fois, pas forcément celles des plats présentés. Elles sont belles, mais ne m’ont pas fait rêver. Par contre, elles ont toutes été prises dans le camp avec les ustensiles des habitants.

Non, moi ce que j’ai le plus aimé, ce sont les scènes de vie. Il fait très chaud, les habitants ont vu certainement plus d’horreurs que je n’en ai jamais vu (et que j’espère en voir jamais). Mais ils ont le sourire. Ils sont ouverts. Ils partagent. Des recettes, de la nourriture, leurs souvenirs, leurs espoirs, leurs vies. C’est une formidable leçon d’humilité de voir autant de résilience. Et ça se voit sur les photos.

J’ai également aimé l’implication des réfugiés dans l’écriture du livre. Ce n’est pas une occidentale qui a écrit les recettes des habitants. Ce sont les habitants qui ont co-écrit les textes. Les noms de Mahomet et de ses prophètes sont tous suivis des formules consacrées (PBUH = peace be upon Him, que la paix soit sur Lui). On trouve des extraits du Coran en anglais et en arabe. Ce n’est pas mis en avant dans une tentative de prosélytisme, mais intégré au texte harmonieusement, comme cela l’est dans leur vie quotidienne.

LES MOINS:

J’ai noté peu d’aspects négatifs dans le livre (à mon goût bien sûr).

La mise en page des recettes n’est pas uniforme au cours du livre. On a parfois un début d’explication sur la colonne de gauche (2 lignes perdues dans la liste des ingrédients), puis le reste sur la colonne principale. Parfois le déroulé de la recette est à gauche, parfois au centre.

Ce sont bien les seuls reproches que je pourrai faire.

EN Résumé:

Franchement, c’est un très beau livre.

Ce n’est pas la première publication de Karen Fisher, qui en tant qu’universitaire, publie majoritairement des études. Mais c’est le premier livre grand public. Et on sent que le livre n’est pas écrit pour « faire du fric ». Produire des recettes et des récits pour gagner plus. C’est plutôt le portrait d’une communauté. Une communauté qui a déjà perdu un peu de son histoire et de ses membres et qui veut laisser une trace écrite de certaines de ses traditions.

Les bénéfices étant reversés au camp Zaatari, je ne peux que vous inciter à acheter le livre.

Les recettes que j’ai testées ou que je testerai rapidement:

Harrisah (un gâteau à base de semoule)

Le poulet Shish Tawook

La salade fattoush

La kefta bil siniyeh

La basbousa

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