« A whisper of cardamom » de Eleanor Ford

Le livre est sous-titré « sweetly spiced recipes to fall in love with », des recettes agréablement épicées à en tomber amoureux.

C’est le dernier ouvrage écrit par Eleanor Ford, déjà auteur de « The nutmeg trail » (des recettes épicées le long de la route de la soie), « Fire islands » (recettes d’Indonésie), et de « Sarmakand » (recettes de l’Asie centrale et du Caucase). Eleanor est anglaise et a gagné plusieurs prix pour ses livres. Vous pouvez visiter son très joli site par ici.

Amoureuse des mots et de la gastronomie, elle collecte des recettes du monde entier pour nous faire voyager.

A whisper of cardamom, un « murmure » de cardamome, entendez un soupçon de cardamome. Ce livre nous entraîne sur les traces des épices, qu’elles proviennent du fruit, de la fleur, de la graine ou de la racine, qu’elles viennent d’Amérique, d’Asie, d’Afrique ou d’Europe.

LE LIVRE:

Le livre est paru en langue anglaise aux éditions Murdoch books en février 2024.

On a tout d’abord le sommaire. Ensuite une introduction au sujet du livre « l’amour entre le sucré et les épices », vu que le livre est ciblé sur les recettes sucrées et épicées. Karen Fisher nous offre également une très belle frise historique de 50.000 avant JC jusqu’à nos jours, ainsi qu’une carte très colorée qui nous montre d’où viennent les épices.

Puis, on entre un peu plus dans le détail. Chaque épice est décortiquée dans un diagramme. Est-elle à tendance médicinale, florale, herbale, chaleureuse …? L’auteur propose des associations et explique comment en tirer le plus de goût.

Quelques conseils encore (sur le sucre, les ingrédients, la cuisson …) et on passe aux recettes. Le livre est divisé en 8 chapitres: cardamome, « doux et chaleureux », anisé, vanille, floral, les graines, « aigre et citronné », et enfin pimenté.

Dans chaque chapitre, on a une double page sur une association: sucre et épices, riz et épices, etc. . On va retrouver des associations avec l’alcool, le chocolat, la crème, les noix, les boissons et finalement les fruits. Une page entière par chapitre traite en outre d’une épice particulière; vanille, noix de muscade, etc. .

Enfin, on trouve les sources de l’auteur (plutôt bien documenté d’ailleurs), les remerciements, un index bien détaillé et une toute petite biographie de l’auteur.

Les recettes:

Comme dit auparavant, les recettes sont rassemblées en 8 chapitres.

On a une petit introduction sur chaque recette, ensuite la liste des ingrédients. Puis le déroulé de la recette, et un petit encart avec une suggestion de changement d’épices.

La liste des ingrédients est classée par étape. A part des épices parfois difficiles à trouver, les ingrédients sont relativement courants. Les quantités sont indiquées en grammes et en oz (once anglo-saxonnes). Toutefois, les plus petites quantités solides comme les épices par exemple, sont indiquées en teaspoon, en cuillères. Il est toujours bon d’investir dans un jeu de cuillères à mesurer. Cela ne coûte pas cher et c’est super pratique. D’autant plus que les liquides sont tous en ml ou en cups, et que là, soyons francs, c’est plus facile de mesurer 1 cup de crème liquide que 250ml. Enfin, ça, c’est mon avis.

Les instructions sont claires et assez détaillées. Les températures de four sont en degrés Celsius et Fahrenheit, ce qui est plutôt pratique. Il en est de même pour les mesures en cm et en inch.

La plupart des recettes ont une photo, ou bien il y a des doubles pages centrales avec deux recettes représentées dessus. Les photos représentent bien le résultat final des recettes.

MON AVIS:
LES PLUS:

Les recettes font vraiment envie. J’en ai noté vraiment beaucoup à tester. J’adore les « spice switch » (variations d’épices) qui permettent à partir de la recette de base de découvrir une toute nouvelle version de celle-ci.

Les doubles pages  » X ♥ spices » sont des mines d’informations, tant sur les associations possibles qu’en donnant des mini recettes. On a donc une grosse cinquantaine de recettes en plus dans l’ouvrage.

Les roues de décomposition des saveurs de épices sont très intéressantes. Elles font écho à la tendance des livres « explicatifs » comme les « répertoires des saveurs » de Nikki Segnit ou « l’équation des saveurs » de Nik Sharma.

J’aime beaucoup les illustrations contenues dans le livre. Je trouve qu’elles apportent un réel plus. Cela évoque la douceur du sucré (grâce à des couleurs tirant vers le pastel) mais aussi les épices avec des dessins très colorés. C’est assez rare dans les livres de cuisine de trouver des illustrations comme cela. Cela permet au livre de Eleanor Ford de se distinguer des autres.

Certains petits détails sont aussi très sympas. Comme par exemple aux cœurs qui marquent les dates dans la frise chronologique. Un petit clin d’œil pour montrer l’amour qu’on porte aux épices.

LES MOINS:

Certaines épices sont assez difficiles à trouver. Je pense par exemple les graines d’acacia moulues. Typiquement australien! Je ne les trouve même pas sur le site de Shira, pourtant bien achalandé. Mais bon, en fouillant bien sur internet …

J’ai trouvé un peu dommage que les recettes soient très typées « sud ». Je m’explique. On apprend que la cardamome était très prisée par les Vikings, mais on ne trouve aucune recette typiquement nordique avec cette épice. Alors qu’il y en a beaucoup encore aujourd’hui. Il n’y a qu’à feuilleter le livre « Desserts hygge » de Brontë Aurell.

En résumé:

Un livre très sympa. Bon après, j’avoue être bon public pour tout ce qui est sucré, mais quand même.

Si je le compare à son autre livre « The nutmeg trail », on retrouve les mêmes marqueurs: des roues de saveurs, ensuite une carte des épices. Idem pour la frise chronologique. La différence réside dans le fait que son précédent livre concernait la route des épices, et là, on est plus au niveau mondial. « The nutmeg trail » propose également aussi bien des recettes salées que sucrées.

Je n’ai pas le tout premier ouvrage de Eleanor Ford, mais j’ai également « Fire islands », sur la cuisine indonésienne. J’en ferai un article dès que je l’aurai lu (vu ma vitesse de lecture en ce moment, dans quelques années…).

Bref, c’est un livre dont je me servirai régulièrement.

Les recettes que j’ai testées ou que je testerai rapidement:

White & black sticky cake – Fondant au chocolat Dulcey et sésame noir

Bramley apple & clove cake

Sri Lankan love cake

Stone fruit galette with mascarpone and long pepper

carrot, cake & candied ginger cake

« Zaatari » de Karen A. Fisher

Le livre est sous-titré « culinary traditions of the world’s largest syrian refugee camp », les traditions culinaires du plus grand camp de réfugiés syriens au monde: le camp de Zaatari.

Plus de 80.000 personnes! Vous vous rendez compte? Moi j’ai du mal, je vous l’avoue. Un camp de réfugiés aussi peuplé qu’une ville comme Versailles ou La Rochelle! Alors, je ne vais pas parler politique internationale, je ne m’y connais pas assez pour exprimer une opinion pertinente. Et puis, chaque opinion est très largement influencée par notre vécu, l’environnement dans lequel on vit…

Je vais donc rester sur quelques faits: le conflit est ouvert en Syrie depuis 2011, depuis, 1/4 de la population (environ 5 à 6 millions) a fui le pays. Le camp de réfugiés de Zaatari est situé en Jordanie, près de la frontière syrienne, en plein désert (en tout cas, à mes yeux, ça ressemble à un désert). Il est ouvert depuis 2012 et a accueilli jusqu’à 200.000 personnes. Tout d’abord constitué de tentes de premiers secours, il est devenu une ville plus ou moins permanente, avec une organisation propre.

L’auteur, Karen E. Fisher, est une professeur canadienne, venue tout d’abord faire une étude sur l’utilisation des téléphones portables par les ados dans le camp. Tombée sous le charme des habitants, elle est revenue plusieurs fois, et en 2016, a décidé de collecter les recettes traditionnelles des habitants du camp et de les rassembler dans un livre. Pour se souvenir des traditions culinaires des différentes régions de Syrie, et parce que la cuisine, c’est ce qui rapproche le plus les personnes. Pas moins de 2.000 personnes ont en effet contribué à l’écriture de ce livre. Si cela vous intéresse, vous trouverez ici une interview très intéressante de l’auteur.

LE LIVRE

Je vous ai dit que le livre a été commencé en 2016, il a fallu presque 8 ans pour sélectionner la centaine de recettes qui se trouvent dans l’ouvrage, mais aussi les classer, et les traduire. Pas seulement au niveau de la langue, mais aussi en poids et mesures, car au camp Zaatari, chacun cuisine à l’œil, au toucher, à l’ouïe… Mais Zaatari, ce n’est pas qu’un recueil de recettes, c’est aussi un recueil d’histoires, de tranches de vie, d’actions menées dans le camp par et pour ses habitants pour rendre l’exil supportable et le futur viable.

Il est donc paru en langue américaine aux éditions Goose Lance en janvier 2024. A noter que les bénéfices de la vente du livre reviennent au camp de Zaatari.

On commence par la table des matières.

Les recettes et récits sont organisés par moments de la journée ou de la vie. On entame le voyage avec la tasse de café matinale. Puis on continue avec le petit-déjeuner, le ftoor. Après un tour dans le camp, une visite des Tigers, des Shams Elysées et des produits locaux, voilà le déjeuner. Puis on parle Ramadan, mariage, naissances, pains et douceurs.

On finit par les ingrédients incontournables, les recettes basiques, une petite biographie de Karen Fisher et enfin les remerciements, et l’index des recettes.

Les recettes:

Comme dit auparavant, il n’y a pas de séparation précise entre sucré et salé, plat principal ou dessert, recettes et histoires. Les recettes sont classées en moments: celui du petit-déjeuner, du dîner. Les recettes du Ramadan, celles des mariages…

Elles sont présentées comme suit: une petite intro, le plus souvent une photo, une liste des ingrédients et le déroulé. La liste des ingrédients est souvent simple, mais peut contenir pas mal d’épices. Il y en a quelques unes qui sont très spécifiques comme les graines de nigelles, ou le mahlab mais cela reste gérable. Parfois même, des substituts sont donnés. A noter que le saman est l’équivalent du ghee et que le lumi est du citron noir séché. Mais tout cela est expliqué dans le glossaire des ingrédients en fin de livre.

Le déroulé des recettes est assez clair et bien expliqué. Il n’y a pas de grosses difficultés à redouter. Certaines recettes requièrent un peu plus d’habileté que d’autres. Il ne faut pas oublier que les cuisinières du camp préparent leurs recettes depuis parfois plus de 40 ans. Dans tous les cas, même si visuellement, ce n’est pas parfait, cela sera quand même très bon. Et puis, certaines recettes ont été partagées par des jeunes filles, parfois même de 11 ans. Alors, on va retrousser ses manches et réussir nous aussi.

Entrelacés entre les recettes, on trouve des poèmes, des récits. Des récits de fuite, de vie, d’espoirs. On apprend certaines traditions, on découvre des associations, des passions. Comme l’association Tigers (these inspired girls enjoy reading) pour lutter contre le manque d’éducation et le mariage précoce chez les filles. On découvre aussi le courage de certaines personnes qui ont tout perdu et ont reconstruit un nouveau commerce à partir de rien.

MON AVIS:

J’ai beaucoup aimé lire ce livre, pourtant assez différent des livres de recettes que je lis habituellement. Je pensais m’ennuyer et passer les récits des « associations ». Et non, je les ai également dévorés. Cela m’a permis de découvrir des aspects de leur vie dont je ne me doutais même pas. être obligé de tout quitter et trouver la force de reconstruire une vie (temporaire) quelque part. Former des associations pour s’adapter, apprendre, se battre contre l’obscurantisme, c’est très beau.

LES PLUS:

Les recettes sont très appétissantes. Beaucoup de poulet, un peu de mouton (surtout cuisiné pendant les fêtes). Pas de porc, ça je m’en doutais, mais pas non plus de bœuf, qui doit être trop cher à élever dans cet endroit du monde ou de poisson (trop loin des côtes). Beaucoup de boissons, et de pain maison. Il faut vraiment que je tente certaines recettes de pain, elles me donnent trop envie. Et pas mal de sucré, la Syrie étant connue pour ses pistaches, ses noix de cajou, ou encore son miel.

J’ai beaucoup aimé les photos. Cette fois, pas forcément celles des plats présentés. Elles sont belles, mais ne m’ont pas fait rêver. Par contre, elles ont toutes été prises dans le camp avec les ustensiles des habitants.

Non, moi ce que j’ai le plus aimé, ce sont les scènes de vie. Il fait très chaud, les habitants ont vu certainement plus d’horreurs que je n’en ai jamais vu (et que j’espère en voir jamais). Mais ils ont le sourire. Ils sont ouverts. Ils partagent. Des recettes, de la nourriture, leurs souvenirs, leurs espoirs, leurs vies. C’est une formidable leçon d’humilité de voir autant de résilience. Et ça se voit sur les photos.

J’ai également aimé l’implication des réfugiés dans l’écriture du livre. Ce n’est pas une occidentale qui a écrit les recettes des habitants. Ce sont les habitants qui ont co-écrit les textes. Les noms de Mahomet et de ses prophètes sont tous suivis des formules consacrées (PBUH = peace be upon Him, que la paix soit sur Lui). On trouve des extraits du Coran en anglais et en arabe. Ce n’est pas mis en avant dans une tentative de prosélytisme, mais intégré au texte harmonieusement, comme cela l’est dans leur vie quotidienne.

LES MOINS:

J’ai noté peu d’aspects négatifs dans le livre (à mon goût bien sûr).

La mise en page des recettes n’est pas uniforme au cours du livre. On a parfois un début d’explication sur la colonne de gauche (2 lignes perdues dans la liste des ingrédients), puis le reste sur la colonne principale. Parfois le déroulé de la recette est à gauche, parfois au centre.

Ce sont bien les seuls reproches que je pourrai faire.

EN Résumé:

Franchement, c’est un très beau livre.

Ce n’est pas la première publication de Karen Fisher, qui en tant qu’universitaire, publie majoritairement des études. Mais c’est le premier livre grand public. Et on sent que le livre n’est pas écrit pour « faire du fric ». Produire des recettes et des récits pour gagner plus. C’est plutôt le portrait d’une communauté. Une communauté qui a déjà perdu un peu de son histoire et de ses membres et qui veut laisser une trace écrite de certaines de ses traditions.

Les bénéfices étant reversés au camp Zaatari, je ne peux que vous inciter à acheter le livre.

Les recettes que j’ai testées ou que je testerai rapidement:

Harrisah (un gâteau à base de semoule)

Le poulet Shish Tawook

La salade fattoush

La kefta bil siniyeh

La basbousa